Myriam au pays - Épisode 8 : le bilan
Mise en garde: ce récit est une pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Dans quelques jours, c’est Noël. Myriam a du mal à réaliser la vitesse avec laquelle l’année est passée. En plus du traditionnel bilan de fin d’année, elle tente de faire le point sur les douze mois qui se sont écoulés depuis son retour au pays.
Rentrer au Cameroun, ça ne s’improvise pas! Il n’était pas question de venir à Douala jouer les mbenguistes pendant les vacances, pour ensuite retrouver sa petite vie de Montréal tout en fantasmant sur un éventuel retour. Myriam avait donc pris le temps de demander conseil à des personnes avisées, de méditer et de prier jusqu’à ce qu’elle soit certaine que c’était la chose à faire. Elle ne voulait pas agir sous le coup de l’émotion (et Dieu seul sait à quel point Myriam a une tendance à fonctionner par « coups de cœur »). Il s’agissait donc d’une décision mûrement réfléchie, d’un choix clairement assumé. La principale raison de son retour? Être plus proche de sa famille. Selon elle, rien ne pouvait remplacer la joie d’être près des siens. Cela ne l’a pas empêchée de sous-peser les défis qu’elle aurait à relever, parmi lesquels deux choses, qui de son point de vue rendaient le quotidien difficilement supportable : les coupures d’eau et d’électricité. À cela, rajoutez le chômage, les problèmes d’insécurité, la guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ainsi que les attaques perpétrés dans le septentrion par l’organisation terroriste Boko Haram. En clair, lorsque Myriam parlait de rentrer, plusieurs personnes de son entourage la prenaient pour une folle et semblaient trouver que ce choix relevait du suicide ou du sadomasochisme. D’autres personnes au contraire, trouvaient cela courageux. Dans tous les cas, sa décision était prise. Dès le mois d’avril 2018, elle avait commencé à préparer son déménagement. Elle prévoyait arriver à Douala en septembre mais le sort en avait décidé autrement : elle devait subir une intervention chirurgicale à l’automne et ce n’est qu’en décembre 2018 que ses pieds ont foulé le sol camerounais.
É a! Mboa su! Notre pays!!!! Le poisson braisé, les missolés frits, le manioc frais, le mets de pistache, la sauce gombo, les bobolos etc. Ayoé! Et il n’y avait pas que la bonne bouffe! Myriam a également redécouvert la joie de vivre en famille, de parler tous les jours avec ses parents, d’avoir de longues conversations live avec ses deux jeunes frères et leurs épouses, également installés au Cameroun, et de voir ses neveu et nièce grandir.
Son cœur se remplit de joie à chaque fois qu’elle porte son bébé de nièce et que ce trésor d’à peine un mois s’endort dans ses bras. Elle a des étoiles dans les yeux lorsque son neveu se blottit contre elle et lui fait un câlin avant d’aller dormir. L’autre jour, alors que ce petit bout d’homme de trois ans attendait qu’on lui serve son repas, il a dit avec cette délicieuse spontanéité qu’ont les enfants de son âge : « Tataa, je suis content de te voir ». Myriam en est restée bouche bée tellement elle était surprise et émue par cette belle déclaration. Dans ces moments-là, elle a la certitude qu’elle a fait le bon choix en rentrant, malgré toutes les difficultés rencontrées au quotidien.
En Occident, de nombreuses personnes vivent une solitude extrême, ce qui les rend vulnérables et peut avoir pour conséquence de les pousser à faire de mauvais choix. Myriam en sait quelque chose. Elle a froid dans le dos lorsqu’elle repense à ce jeune homme nigérian, Adewale, avec lequel Ebuka, l’avait mise en contact. Myriam avait rencontré Ebuka à Montréal alors qu’ils louaient tous deux des locaux professionnels dans le même immeuble.
Ebuka savait que Myriam était célibataire et il lui avait parlé de son grand frère, Adewale, qui était également célibataire et à la recherche d’une relation amoureuse sérieuse. D’après ce qu’Ebuka avait dit à Myriam, Adewale était en Israël pour le travail mais envisageait d’immigrer au Canada. Myriam considérait Ebuka comme un frère. Elle accepta donc qu’il donne son adresse courriel à Adewale.
Myriam et Adewale ont commencé par s’envoyer des courriels pour faire connaissance. Au bout de quelques jours, à la demande d’Adewale, ils ont échangé leurs numéros de téléphone portable et ont entrepris de communiquer régulièrement via WhatsApp. En posant des questions, Myriam appris qu’Adewale était arrivé en Israël avec un visa touriste lors d’un pèlerinage organisé par un organisme chrétien. Une fois arrivé à Tel Aviv, il avait demandé l’asile et obtenu le statut de réfugié. Quant à ses projets d’avenir, il souhaitait immigrer au Canada mais disait que le processus n’avançait pas. Très tôt lors de leurs échanges, il lui avait fait part des difficultés qu’il rencontrait quant à son projet d’immigrer en Amérique du Nord. Apparemment, les autorités canadiennes lui auraient signifié qu’il ne pouvait pas obtenir un visa étudiant à cause de son âge et il n’avait pas hésité à lui demander son avis sur les autres options qu’il pourrait explorer pour immigrer. « What do you think I should do? Do you have an idea? ». Ces questions mettaient Myriam mal à l’aise. Son instinct lui disait qu’il y avait quelque chose de pas clair chez cet homme mais elle souhaitait tout de même lui donner le bénéfice du doute. Lorsqu’elle priait, elle demandait au Seigneur de lui révéler les véritables intentions de son prétendant. Sa prière a très vite été exaucée. Un soir, alors qu’elle parlait avec Adewale, ils ont évoqué la question de se voir en personne. C’était bien beau de parler au téléphone mais Myriam n’envisageait pas d’entamer une relation amoureuse avec une personne qu’elle n’avait jamais rencontrée. Nous étions au début du mois de septembre 2017 et Myriam devait se rendre au Cameroun en décembre de la même année pour le mariage religieux de son petit frère. De son côté, Adewale lui avait dit vouloir se rendre au Nigeria à peu près à la même période. Myriam proposa donc à Adewale qu’ils se rencontrent au Cameroun. Lui qui avait pourtant dit vouloir se rendre au Nigeria en vacances soulevait tout à coup des difficultés liées à son statut de réfugié : s’il allait au Nigeria, il ne pourrait pas retourner en Israël. En effet pensa Myriam, ce n’était pas logique de demander l’asile en Israël, et une fois le statut de réfugié obtenu, programmer de se rendre en vacances dans le pays que l’on a fui, en l'occurrence le Nigeria. Myriam n’avait même pas réalisé que ce scénario était bancal. Dans tous les cas, il était hors de question pour elle d’aller en Israël. Qui sait ce que ce type pourrait lui faire? Il ne lui inspirait pas confiance et elle commençait à devenir méfiante. Elle avait évoqué la possibilité de faire un tour à Tel-Aviv mais s’était dépêchée d’ajouter que cette option ne lui convenait pas. Intérieurement, elle savait que c’était totalement insensé de prendre l’avion pour aller rencontrer un inconnu. Sous ses airs de gentleman, Adewale était un dangereux manipulateur et la conversation prenait un tour qui ne lui plaisait pas du tout. En effet, un peu plus tôt, après qu’elle se soit plaint qu’elle ne l’entendait pas distinctement, il fit allusion au fait qu’elle devrait lui offrir une paire d’écouteurs. « For sure, over there in Canada, earphones must be of better quality ». Après avoir perçu le silence désapprobateur de Myriam et s’être vu opposer un « non » catégorique au bout du fil, il fit passer cela pour une plaisanterie mais continua de la « taquiner ». « What would you say if I asked you to buy me a suit? ». Ensuite, il lui raconta l’histoire d’un homme riche qui se faisait passer pour pauvre et se laissait entretenir par sa fiancée pour tester sa générosité. La technique de manipulation d’Adewale commençait à manquer de finesse. Jusqu’ici, il était resté doux et patient. Il écrivait à Myriam et lui laissait des voice notes tous les jours. Il lui demandait sur un ton affectueux si elle avait mangé et lui disait régulièrement qu’elle ne devait pas compter que sur elle-même. « You don’t have to do everything on your own », sous-entendu :
« Laisse-moi prendre soin de toi. Tu as besoin d’un homme sur qui tu pourras te reposer. Je serai ton roc ». Adewale avait pris le temps d’analyser la personnalité et le caractère de Myriam et avait percé son point faible : son statut de célibataire et le fait qu’elle vive seule faisait d’elle une personne vulnérable. Elle était l’amie d’Ebuka et il avait sûrement pris soin d’obtenir un maximum de renseignements sur elle. Adewale était donc apparemment une personne bienveillante, mais son véritable caractère allait bientôt se révéler.
Lorsqu’il comprit que Myriam n’irait pas lui rendre visite en Israël et qu’il n’arriverait pas à lui faire changer d’avis, Adewale perdit les pédales. Il haussa le ton au bout du fil mais Myriam ne se laissa pas faire, bien que désorientée et surprise par cet accès de colère. Devant l’attitude ferme de Myriam, il fut obligé de se calmer. Au bout de quelques minutes, il s’excusa, un peu comme s’il n’avait pas prévu ce débordement dans sa petite mise en scène, puis il reprit un ton doucereux et s’adressa à elle comme à une enfant : « You must be tired now. Have you eaten yet? You need to eat something and take some rest ».
« Chassez le naturel et il revient au galop ». Le célèbre adage venait de se confirmer. Aujourd’hui, lorsque Myriam repense à cet épisode de sa vie, elle se demande comment elle a pu, ne serait-ce qu’une seule seconde, envisager de se rendre en Israël. Pire encore, comment a-t-elle pu évoquer cette possibilité à haute voix? Comment ces mots ont-ils pu sortir de sa bouche, même si elle s’est rétractée par la suite ? "I mean, I could come visit you in Israel but I don’t feel comfortable about it”. Cela faisait moins d’un mois qu’elle parlait avec ce type et le fait que ce soit le frère d’un ami ne lui donnait aucune garantie.
Dieu merci, tout ceci fait partie du passé. Myriam a vite fait de mettre fin à ce début de relation toxique, et de passer à autre chose. Ce genre d’expérience, aussi malheureuse soit-elle, permet de tirer certaines leçons. Myriam comprit qu’elle ne devait jamais étouffer son instinct. De même, elle devait redoubler de vigilance, particulièrement lorsqu’elle se sentait faible moralement et qu’elle risquait de perdre toute objectivité à cause de son désir de se mettre en couple.
De nature extravertie, Myriam n’a aucun mal à aller vers les gens, ce qui ne l’a cependant pas empêché de connaître des périodes d’isolement et de solitude lorsqu’elle vivait à l’étranger. Elle a découvert à quel point il est difficile d’avoir une personne à qui parler. Les gens n’ont plus le temps. Myriam soupira. Ah! Le temps, ce grand alibi, cette denrée rare. Peu de personnes ont cette faculté ou même ce désir de donner de leur temps. Elle sait aujourd’hui à quel point donner de son temps est l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse faire à autrui. Myriam n’était pas seule au monde, loin de là. Aussi bien lors de son passage en France que lors de son séjour au Canada, elle a croisé sur son chemin de nombreuses personnes qui ont donné de leur temps et de leur présence, qui lui ont tendu une main amie et prêté une oreille attentive. Ces personnes, elle a le goût de les appeler ses anges gardiens.
Mais, parce qu’il y a un « mais », malgré tout l’amour et la disponibilité que ces anges gardiens ont pu lui apporter, cela ne pourra jamais remplacer le fait d’être entourée de sa famille au quotidien.
À suivre…